Trois semaines après avoir bouclé son premier Vendée Globe, le skipper Normand Louis Duc est rentré en Normandie à la barre de son Imoca Fives Group – Lantana Environnement avec une remontée du chenal de Barneveille Carteret, là où sont ses racines de marin, une escale à Cherbourg, son port de cœur, puis une remontée du canal de Ouistreham à Caen, pour un retour à sa base technique où, pendant 4 ans, avec son équipe technique, il a redonné vie à son Imoca et construit ce programme Vendée Globe.
Alors, après 91 jours à batailler autour de la planète mer, un peu de repos et ce retour aux sources, le marin de Carteret est-il toujours le même ? Quel bilan tire-t-il de son Vendée Globe ? … Et quels sont ses projets ?
Il nous dit tout là, mais, en bref, ce qu’il a adoré c’est l’immensité de ce terrain de jeu stratégique. Son émotion majeure ? Se sentir en sécurité sur « ces bateaux extraordinaires ». La grande frustration qui a plombé son tour du monde : la perte de ses voiles de portant. Son envie : repartir à la barre d’un foiler pour gouter à la finesse de ces engins ultra-performants.

Après 3 semaines à terre, quel regard portes tu sur ton Vendée Globe d’un point de vue sportif : compétition, stratégie
Louis Duc, skipper Fives Group – Lantana Environnement : « Je suis mitigé. En stratégie, j’ai fait de mon mieux. Je suis content de mes choix, à quelques petites exceptions près : l’absence de mes voiles de portant dès le 3e jour de course m’a bloqué à certains moments. Sur l’ensemble du parcours j’ai essayé de bien travailler mes trajectoires. Et quand je me suis pris les pieds dans le tapis c’était lié à mes voiles manquantes.
Je me suis énormément battu avec les voiles qui me restaient. Et je ne m’en suis pas trop mal sorti : 91 jours avec la moitié de ses voiles, ce n’est pas si mal.
Ça a été hyper frustrant et dur à accepter. J’en ai souffert moralement : à chaque fois que je réussissais à me placer dans le top 3 des bateaux à dérives, je perdais des places dès qu’il y avait des phases de portant et de petit temps.
Mais, avec du recul, on sait qu’on est là pour boucler un tour du monde avec ses armes, ses qualités et ses défauts. L’important est de boucler la boucle. J’ai la satisfaction d’avoir fait ça, mais j’ai cette frustration de ne pas avoir pu batailler avec un bateau à 100% de son potentiel dès les premiers jours de course. »
Quel est ton bilan humain : découverte, dépassement de soi ? On a eu l’impression que tu étais à l’aise tout le temps (la chaleur des zones équatoriales mise à part)
Louis Duc, skipper Fives Group – Lantana Environnement : « A l’entrée des mers du sud, j’ai eu besoin d’un petit temps d’adaptation pour bien appréhender ces systèmes qui tournent dans le sens inverse de ce que je connaissais. Ça bouleverse les repères. Quand tu as du SW en Atlantique Nord, c’est le front chaud. Dans le Sud, c’est le front froid !
A cela, s’ajoute le courant des aiguilles, la mer démontée… Cela fait beaucoup d’informations à intégrer. Mais, une fois que c’est fait, tout va bien ! Plus le manque de voiles qui ne me permettait pas d’aller où je voulais aller…
C’est vite rentré dans l’ordre : au niveau des Kerguelen, j’étais super à l’aise.
Dans les dépressions des mers du Sud, je ne me suis jamais senti en danger, parce que j’ai évité les conditions dantesques et parce qu’on a des bateaux extraordinaires, notamment les bateaux à dérives, super fiables et éprouvés.
Je me suis toujours senti en sécurité à bord. Je m’étais mis des limites de hauteur de vagues, pas plus de 8m fichier, et j’ai réussi à respecter ça. J’ai eu jusqu’à 60 nœuds de vent, mais ce n’était une première, on sait faire. Si on se lance sur un Vendée Globe, c’est qu’on sait naviguer dans ces conditions-là. En anticipant bien, ça se passe bien. Je suis à l’aise dans ces conditions-là. J’étais venu pour ça aussi, parce que j’aime ça. J’ai vu ce que je voulais voir !
Et ce qui est génial c’est d’avoir un tel terrain de jeu stratégique devant soi ! A plusieurs reprises, il y a eu de belles opportunités tactiques à saisir. C’était passionnant ! »
Quelle est l’émotion qui a dominé ce Vendée Globe ?
Louis Duc, skipper Fives Group – Lantana Environnement : « En fait, à plein de moments, j’ai eu l’impression d’avoir déjà vécu ce que je vivais à cause de tous les récits de tour du monde que j’ai pu lire !
Ce qui m’a vraiment plu c’est de passer du temps dans de grands systèmes météo et de travailler une stratégie là-dedans. C’est ce qui m’a marqué !
Mon sentiment majeur, c’est d’avoir été en sécurité. »
À part une dérive cassé 2 jours avant d’arriver et tes voiles, ton bateau rentre en bon état…
Louis Duc, skipper Fives Group – Lantana Environnement : « S’il n’y avait pas eu ces 3 à 4 années préparatoires, il n’y aurait pas eu autant de finishers et avec des temps de course aussi intéressants. J’ai eu très peu de bricolage à faire à bord. Le bateau a été très bien préparé et il rentre en bon état.
Les Imoca à dérives sont particulièrement fiables. Je suis extrêmement content d’avoir fait ce premier Vendée Globe sur un bateau de cette génération. En plus, il y a eu un bel engouent et une régate passionnante : je souhaite aux futurs skippers de bateaux à dérives de vivre la même chose dans 4 ans ! »
Il parait que tu as envie d’un 2e Vendée Globe… ?
Louis Duc, skipper Fives Group – Lantana Environnement : « Oui ! Mais différent. Parce que je suis très content d’avoir monté ce projet de dingue, qui s’est déroulé mieux que tout ce que j’avais imaginé. C’est la plus belle aventure de ma vie.
J’ai envie de gouter aux technologies récentes. Je suis passionné par les foilers. J’aimerais, et je pense que je suis capable, arriver à de bons résultats dans la flotte des foilers. Pas à la barre d’un Imoca dernière génération, mais avec un bateau de 2016 – 2020, à optimiser.
Mon but est toujours de chercher la performance et de goûter aussi à la précision de ces bateaux-là. Je rêve depuis que je suis gamin de faire du multicoque, or le foiler permet d’accéder aux vitesses et aux sensations des multi, sans le risque de se retourner (un Imoca revient à l’endroit) ! »
Merci !
Louis Duc, skipper Fives Group – Lantana Environnement : « Je tiens avant tout à remercier Jérôme Lepoutre et Marc Dewavrin, mes associés depuis 2012. Avant ces 4 années en Imoca, ils m’ont accompagné sur deux générations de Class40, avec des hauts des bas, des échecs et des moments extraordinaires… jusqu’à ce Vendée Globe.
Ils m’ont suivi dans mes projets fous, avec des plans raisonnés, leur expérience de chefs d’entreprise, leur passion et leur bienveillance. C’est grâce à eux si j’en suis là. Je les en remercie vraiment.
Merci aussi à tous les prêteurs ! Les 172 personnes qui se sont manifestées, les 150 qui se sont engagées (150 était le nombre maximum accepté par la loi de ce montage financier de prêt participatif, ndlr) à nos côtés dès les premières heures de ce projet, en 2020. Ils ne savaient pas forcément trop dans quoi ils s’embarquaient, même si nous avions un contrat en bonne et due forme. Ils ont choisi de nous accompagner. Et, chaque année depuis 4 ans, ils ont été remboursés.
Cela a permis de fédérer un premier cercle autour du projet. Ils nous ont octroyé la confiance que les banques n’ont pas voulu nous accorder. C’est un modèle qui peut s’appliquer à beaucoup d’autres projets. Les banques sont déconnectées de la réalité de ce type de projets qui peuvent être audacieux, mais qui sont sérieux et structurés.
Merci bien sûr, enfin, à tous nos partenaires. Lantana Environnement, les premiers à s’engager. Le Groupe Fives qui a suivi avec enthousiasme un an plus tard. Best Energies aussi engagé que discret. Et le club d’entreprises “votre entreprise autour du monde”
Ce n’était pas gagné au départ, mais ils y ont cru. Merci à tous de votre confiance ! »
On y a mis toute notre énergie
Louis Duc, skipper Fives Group – Lantana Environnement : « De notre côté, on a fait le maximum pour valoriser ce programme, j’espère que cela aura satisfait tout le monde. J’ai communiqué à ma manière. J’ai fait des vidéos comme j’ai pu : ce n’est pas très naturel pour moi. J’espère que ça aura plu et intéressé du monde pour que nos partenaires s’y retrouvent.
Avec l’équipe, on a tenté de faire le mieux possible. On y a mis, en tous cas, toute notre énergie pour que cela fonctionne : on espère que chacun y aura trouvé son intérêt.
Et si c’est le cas, pourquoi pas poursuivre sur un nouveau défi partagé ? »

Le bilan des partenaires
Frédéric Sanchez, Président du Groupe Fives
« Fives est fier d’avoir été aux côtés de Louis Duc durant toute l’aventure du Vendée Globe. Cette incroyable épopée, fruit de trois années d’intense préparation aux côtés d’une équipe soudée, témoigne de la résilience, de l’endurance et de la capacité à s’adapter en permanence à l’imprévu de Louis. Un marin se doit d’anticiper les difficultés pour élaborer la meilleure stratégie. Or, toutes ces valeurs, ce sont celles des femmes et des hommes de Fives qui font la force de notre Groupe au quotidien ».
Guillaume de Germay, Président de l’association Lantana Environnement
« Le Vendée Globe a fédéré l’ensemble de nos adhérents ! Il y a un sentiment d’avoir participé à quelque chose d’extraordinaire, un dépassement, une fierté de porter la marque !
Mission accomplie ! Le constat est unanime, c’est un succès !
Louis est une des clés de ce succès si ce n’est la clé principale. Il est extraordinaire. Il a gagné le cœur de tous nos adhérents et leurs collaborateurs. Les valeurs portées par le projet comptent beaucoup aussi. Je suis extrêmement content d’avoir passé ces 4 ans au cœur de ce programme. Le bilan est franchement positif, la marque en sort grandie. Et nous remercions Louis pour tout ça. »
Vous connaissez Louis, il adore parler technique alors voici quelques bonus
A la sortie des Malouines, un anticyclone nous poussait vers l’est et il fallait passer au-dessus de ce système et, avec Sébastien Marsset, on est restés bloqués là-dedans : lui pour des problèmes techniques, moi à cause de mes voiles. Nous avons perdu une semaine, mais ce n’était pas une erreur de notre part.
Au cœur d’une dépression, quand le bateau part à 28 – 29 nœuds sur une vague et que tout vibre, tu te poses toujours quelques questions, mais je ne me suis jamais senti en danger. C’est la longévité du matériel qui interroge sur un parcours autour du monde.
On avait bien anticipé tout cela. C’était ma hantise pendant tout le Vendée Globe : la casse par usure. Les points de ragage étaient bien protégés et ça s’est super bien passé. Le bateau rentre en super état.
Dans les mers du Sud, les phénomènes sont plus amples et plus violents qu’en Atlantique Nord, mais sinon c’est pareil. Une fois que tu as compris ça, ça se gère de la même façon.
Ce qui est hallucinant dans le Vendée Globe ce sont les groupes qui se forment à cause des systèmes météo qui te laissent passer ou pas. Ça fait plusieurs courses dans la course. Avec des systèmes météo très différents d’un groupe à l’autre. On n’a pas tous vécu la même Vendée Globe !
Quand tu vois un albatros, ça t’évoque les livres de Moitessier, Auguin Desjoyeaux… On parle tous de la même chose ! C’est magique de voir ça, mais tu as déjà l’impression de savoir ce que c’est.
Il y a aussi une sensation un peu étrange d’immensité et, en même temps, on a réussi à faire le tour en 3 mois… à passer d’un océan à l’autre en quelques semaines. On est extrêmement chanceux de naviguer à ces vitesses-là, tout en étant en sécurité.
Les bateaux à dérives, même s’ils sont vieux, sont extraordinaires ! Ils sont préparés, fiables, entretenus, optimisés, conformes à la jauge Imoca. Ils ont des structures solides, des gréements contrôlés, des quilles fiables.
Ils sont accessibles physiquement et techniquement à qui veut découvrir le Vendée Globe avec un budget raisonnable. C’est un tremplin intéressant pour accéder au circuit Imoca.
